Comme des souris | L’actualité

Je devrais être en train de finaliser ma série sur les lieux où nous vivons. Ça fait deux ou trois fois que je la reporte. Mais la fin de l’année est arrivée et l’aiguille de la jauge de mon niveau d’inspiration a fléchi dangereusement. Tandis que mon indicateur d’indignation signale depuis une importante surchauffe.

J’avais envie de fêter, cela faisait quatre ans qu’on n’avait pas eu de temps des Fêtes chez nous (on a chopé la COVID l’an dernier, ma fiancée était en chimio l’année précédente), mais l’humeur ambiante n’y était pas trop. Les temps sont durs, le coût de l’épicerie et les taux d’intérêt m’ont rendu aussi gratteux que ma collègue Josée Boileau.

Quand ma blonde me demande ce que je fais avec les yeux rivés sur mon cell, je lui réponds que non, je ne suis pas encore absorbé par TikTok. Je consulte les circulaires sur mon appli de cartes fidélité. Ce n’est pas une blague.

Il y en a qui sont plus mal pris que moi, évidemment.

De nombreuses entreprises ont profité du dernier trimestre de l’année pour congédier des employés par milliers, question d’embellir le tableau financier et de faire sourire les actionnaires. 

D’un côté, je comprends la logique de ces entreprises. Les profits doivent être au rendez-vous chaque trimestre pour satisfaire les actionnaires. Ce qui est impossible. Même le patron de Walmart s’en plaint : « Récemment, je parlais avec un investisseur qui évoquait des bénéfices à long terme… Pour lui, le long terme était un horizon de six mois », a-t-il raconté dans un balado (A Bit of Optimism, animé par Simon Sinek).

Donc, pour répondre à cette dictature du profit permanent, on vire des employés, on tord le bras aux fournisseurs. Peu importe les dégâts et les coûts à long terme. L’important, c’est le profit immédiat.

Je saisis les fondements de tout cela, mais d’un autre côté, je suis fasciné par les récits que ces gens s’inventent pour justifier de mettre à la porte tout ce monde à la veille de Noël.

Sans doute que cela s’apparente à la détestable litanie de Scrooge dans Un conte de Noël, mâtinée d’un peu du discours d’Elvis Gratton.

C’est sans doute aussi ce que se disent les dirigeants qui ont profité de la crise inflationniste pour s’adonner à de petites expériences et faire du mot-valise « cupideflation », ou greedflation, le terme qui définit le mieux l’année qui s’est terminée.

Le concept est le suivant : des entreprises mettent sur le dos de l’inflation leurs prix gonflés afin de faire exploser leurs marges de profit de manière parfois indécente.

Je ne suis pas économiste, mais je pense pouvoir me fier aux propos de Tiff Macklem (gouverneur de la Banque du Canada), Christine Lagarde (présidente de la Banque centrale européenne) et autres pontes qui sont venus expliquer ces derniers mois que la présente inflation est due à la recherche grandissante de bénéfices dans bon nombre d’entreprises. Pas seulement à la hausse des salaires liée au manque de main-d’œuvre.

Les épiceries se sont-elles ainsi enrichies indûment, comme le prétendent plusieurs politiciens ? Je l’ignore. Chose certaine, par contre, les profits sont au rendez-vous, malgré des hausses de prix parfois fulgurantes de leurs fournisseurs. Cela peut s’expliquer autrement que par la « cupideflation », comme l’expose le chroniqueur invité de La Presse Sylvain Charlebois. Mais en 2022, le salaire du PDG de Loblaw, Galen Weston, avait augmenté de 55 %, pour atteindre 8,4 millions de dollars (soit un peu moins de 1 million en salaire et le reste en prime, actions et encouragements financiers). Donc, ça ne doit pas aller trop mal.

Ce même chroniqueur affirme aussi que le refus de Loblaw et de Walmart de se soumettre à un code de conduite pour les grands épiciers nuit à la concurrence, et par conséquent aux consommateurs.

La tendance est désormais à la hausse des marges de profit plutôt qu’à l’obtention de parts de marché. Les entreprises jouent donc avec les prix pour voir jusqu’où les consommateurs sont prêts à aller.

Dans une période où les gens avaient besoin de s’extraire de chez eux, de se divertir, de voyager, soit au sortir de la pandémie, beaucoup d’entreprises ont profité de la situation pour faire exploser leurs gains.

Je n’ai rien contre l’argent ; je suis après tout un entrepreneur, modeste peut-être, mais un entrepreneur quand même. Je ne crois pas que le capitalisme soit plus ou moins mauvais qu’un autre système économique. Peu importe la forme que prend une économie, elle est toujours phagocytée par des éléments qui cherchent à s’approprier une part écœurante des richesses disponibles.

C’est ce que l’on voit se produire en ce moment : tandis que la marge de manœuvre de la classe moyenne s’amenuise, que certains salariés sont désormais considérés comme pauvres et doivent parfois même recourir aux banques alimentaires pour joindre les deux bouts, que des ménages renouvellent leur hypothèque à un taux deux à trois fois plus élevé que le précédent, des gens qui se versent des salaires mirobolants jouent avec le prix des biens et des services pour tester la résistance du marché à ces hausses.

Si vous vous sentez comme une souris qu’un chat aurait prise au piège, s’amusant avec sa proie avant de la dévorer, vous n’êtes pas seul.

Mais j’ai une question, une vraie, qui m’empêche de dormir en tant que modeste entrepreneur : une fois que ces chats bien gras auront mangé toutes les souris, à quoi ressemblera notre économie ?

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