Merci, Pierre | L’actualité

Au début de l’année 1999, Carole Beaulieu (qui venait tout juste de succéder à Jean Paré à la rédaction en chef de L’actualité) a reçu un appel d’un des économistes les plus influents et respectés au Canada. Il avait envie, lui a-t-il dit, d’être utile autrement à sa société. Il voulait vulgariser l’économie à l’intention du grand public, et il souhaitait le faire dans son magazine. 

Carole a dit oui sur-le-champ. Et c’est ainsi que s’est tissé, entre les lecteurs de L’actualité et Pierre Fortin, un lien très fort qui allait se maintenir pendant tout près de 25 ans. 

Des raisons personnelles forcent aujourd’hui Pierre à mettre fin à cette chronique dans le magazine. Son regard aiguisé sur la société québécoise nous manquera beaucoup ; heureusement, il continuera d’écrire à l’occasion des billets destinés à notre site Web, quand l’inspiration frappera. 

Pour souligner la conclusion de cette chronique qui a si durablement marqué l’histoire de L’actualité, nous vous offrons ce bilan en forme de conversation entre Pierre, le chef du bureau affaires et économie de L’actualité, Marc-André Sabourin, et moi. Vous y trouverez les mêmes éléments qui ont fait la renommée de cette chronique : une immense rigueur, une volonté d’élever le débat public, ainsi qu’un amour profond pour le Québec. 

Claudine St-Germain

Pierre, qu’est-ce qui t’a amené à écrire pour L’actualité ?

Durant les années 1990, j’ai beaucoup travaillé sur la politique monétaire canadienne. Mais à la fin de la décennie, il est devenu clair que la banque centrale poursuivrait sa cible de 2 % d’inflation par année de façon automatique (c’est encore la même cible, qui a été reportée de cinq ans en cinq ans). J’ai compris qu’il n’y avait plus grand-chose à faire en recherche sur la politique monétaire et l’inflation au Canada, et je me suis demandé : « Je fais quoi maintenant ? » 

J’ai alors été sollicité par l’UQAM, qui organisait une journée annuelle sur de grands personnages de la politique québécoise. On m’a demandé de parler du premier ministre Robert Bourassa, ce qui m’a amené à faire des recherches sur l’évolution de l’économie du Québec depuis 1960. J’ai constaté qu’elle s’améliorait progressivement, et j’ai pensé qu’il fallait diffuser ce message-là. 

J’avais fait du journalisme quand j’étudiais à l’Université Laval, ce qui m’avait apporté deux choses. La première, c’est que j’avais rencontré la femme de ma vie. La deuxième, c’est que j’étais resté en contact avec des gens des sciences sociales. C’est tout ça qui, au bout du compte, m’a amené à L’actualité : j’avais beaucoup de respect pour la profession de journaliste ; j’avais un intérêt pour l’évolution de la société, avec une conception beaucoup plus large que seulement la perspective économique ; et puis, il y avait cette citation attribuée à Albert Einstein que j’ai lue à plusieurs reprises et qui dit qu’une science qui n’est pas communiquée ou qui est mal communiquée est une science qui n’existe pas.

« Ma stratégie a toujours été la même. Je choisis des sujets qui ont la possibilité de surprendre les gens et qui, souvent, combattent une idée fausse. »

Comment s’est passé ton apprentissage de la chronique ? 

Avec Carole [Beaulieu], ça ne niaisait pas ! « Pierre, je ne comprends absolument rien à ce que tu écris. Qu’est-ce que tu veux dire au juste ? » Bon, la première fois que tu te fais dire ça, alors que tu te considères comme un grand chercheur… Mais finalement, j’ai compris que c’était elle qui avait raison et qu’il fallait que je m’adapte à un style qui permettait de mieux atteindre la population. Dans un sens, L’actualité m’a réappris à écrire. 

Depuis, ma stratégie a toujours été la même. Je choisis des sujets qui ont la possibilité de surprendre les gens et qui, souvent, combattent une idée fausse. 

Avec la généralisation de l’accès à l’information via les réseaux sociaux, on est dans un monde où n’importe quelle idée sort n’importe comment, n’importe quand. Nous avons besoin des médias comme L’actualité et d’autres pour voir clair à travers ces faussetés proférées à gauche comme à droite. Le danger, c’est que les gens comme vous et moi finissent par se tanner et par lâcher. Au contraire, il ne faut surtout pas lâcher. Avec l’environnement d’information dans lequel on vit, il faut combattre d’autant plus fort les idées fausses qui se multiplient. 

Quelle fausse idée en économie aimerais-tu voir rectifiée pour de bon ? 

Dans la dernière année, c’est l’idée que recevoir plus d’immigrants améliore l’économie. C’est complètement faux. Les gens pensent que l’immigration a un effet sur trois domaines : le niveau de vie, la pénurie de main-d’œuvre et le vieillissement de la population. Or, la recherche qu’on a à l’heure actuelle montre que ces trois effets-là sont nuls.

Cela ne veut pas dire qu’il faut être contre l’immigration, au contraire ; mon adhésion à la cause de l’immigration est totale. Les immigrants qu’on accueille, ils remplacent les enfants qu’on n’a pas eus. Les générations qui montent vont faire un Québec complètement différent de celui qu’on a connu dans le passé. C’est ce qui explique la tension actuelle entre les baby-boomers, qui sont encore dans l’idée du Québec d’autrefois, et ceux qui regardent vers l’avenir, avec l’immigration qui est déjà chez nous. 

Le Québec est une société distincte, qui apporte une langue, une culture, un réseau d’innovation culturelle et sociale qui sont différents de ce qu’il y a ailleurs. C’est une valeur extrêmement précieuse, et j’espère qu’on va la garder. Il faut que les immigrants se l’approprient et qu’ils participent à la créer. Et puis, cette culture-là doit être en continuité avec celle qui est acquise des générations antérieures, tout en évoluant, évidemment.

Alors pourquoi l’immigration ? Pour des objectifs familiaux, culturels, sociaux, et beaucoup plus. Parce qu’on a la responsabilité d’accueillir des gens qui arrivent de pays où il y a des conflits, ou qui ont des problèmes de changements climatiques. Parce qu’on veut que ces personnes soient avec nous. 

Il faut être pour l’immigration, mais au bon rythme, et pas pour des raisons économiques. 

On retient généralement de tes chroniques un message d’optimisme. Est-ce ainsi que tu perçois les choses ? 

Oui, c’est vrai. C’est un optimisme qui reconnaît qu’on a des problèmes, mais qu’on est capables de les résoudre. 

Ce qui nous a amenés à résoudre nos problèmes dans le passé, c’est d’abord la révolution éducative. Deuxièmement, on a acquis une habitude de consensus social. Ça n’a pas été facile. Des années 1970 au milieu des années 1980, ça a été le bordel sans arrêt au Québec : la société était constamment paralysée par des grèves. Mais on s’est donné la capacité d’atteindre un consensus social avec la création du Fonds de solidarité, par exemple, et la loi sur les services essentiels au Québec. 

Par la suite, on a eu une internationalisation de l’économie de la province, qui a découlé, d’une part, d’un afflux incroyable de jeunes en sciences de l’administration et, d’autre part, de l’apparition d’un secteur privé francophone. Ces jeunes entrepreneurs se sont lancés dans l’exportation. 

Quatrièmement, avec sa politique familiale, le Québec a mis sur pied un État-providence 2.0, avec notamment les congés parentaux, les garderies pas chères, etc. Ça a porté le taux d’activité des femmes québécoises au plus haut niveau mondial.

Et finalement, il y a eu aussi la rationalisation des finances publiques. Mais là-dessus, on est peut-être allés trop loin ; à mon avis, c’est l’une des choses sur lesquelles il faudrait revenir éventuellement. 

Vois-tu une source de pessimisme à l’horizon ?

Le principal objet de pessimisme que j’ai par rapport à l’économie du Québec, c’est que cette année marque le 30ᵉ anniversaire de la dernière coupe Stanley qu’on a gagnée. De 1944 à 1993, il ne s’était jamais passé plus de sept ans entre deux coupes Stanley à Montréal. C’est effrayant ! 

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