La Bourse ou la (vraie) vie

L’évolution des indices boursiers occupe tellement d’espace dans la couverture médiatique de l’économie que bien des gens croient que ce qui arrive à Wall Street ou à Bay Street détermine l’avenir de l’économie, voire que cette dernière et la Bourse forment un couple inséparable.

Or, il n’en est rien. Voici en trois temps pourquoi ce qui se passe dans les grands marchés des transactions boursières n’est aucunement prémonitoire de ce que l’économie nous réserve. 

De un, la valeur des actions exprime les attentes des investisseurs au sujet de l’évolution future des profits des entreprises. Ils ont les yeux rivés sur les dividendes et les gains financiers qu’ils pourront en tirer. Or, les profits des entreprises ne sont qu’une petite fraction du revenu total engendré par l’économie. Au cours des 35 dernières années, ils ont représenté en moyenne 15 % de celui-ci au Canada. Pendant ce temps, la rémunération des salariés était quatre fois plus importante, constituant 60 % du revenu total au pays. Il n’y a d’ailleurs guère de lien entre la profitabilité d’une entreprise et la part de son revenu qu’elle partage avec ses employés. Parmi les sociétés très profitables, on en voit qui rémunèrent bien leurs salariés, tout comme on en voit d’autres qui sont chiches avec eux. Le contexte de concurrence entre entreprises pour obtenir les services des meilleurs employés joue aussi, quand les compétences sont rares.

De deux, les attentes au sujet de l’avenir sont passablement changeantes et n’ont souvent pas rapport avec l’actualité courante. De 1988 à 2022, le poids des profits dans le revenu total de l’économie canadienne a fluctué de 8 % à 21 % autour de la moyenne de 15 %. Cette instabilité rejaillit forcément sur les attentes des investisseurs, de sorte que les cours de la Bourse sont beaucoup plus volatils que l’économie.

Le célèbre économiste américain Paul Samuelson disait à la blague : « Les indices de Wall Street ont prédit neuf des cinq dernières récessions ! » 

Aussi, ce qui peut paraître comme une bonne nouvelle peut entraîner une chute boursière. L’an dernier, on a vu les indices reculer après l’annonce d’une forte baisse du taux de chômage aux États-Unis. Les milieux économiques se sont mis à craindre une surchauffe menant à de l’inflation et ont eu peur que la banque centrale réagisse en provoquant une hausse des taux d’intérêt afin de ralentir l’économie et de calmer la montée des prix. Par conséquent, les investisseurs ont appréhendé une chute des profits et retiré leurs billes de la Bourse, ce qui a fait tomber les prix des actions. Et ce, même si l’économie montrait plutôt des signes de solidité.

Un exemple plus rare est celui de la bulle spéculative. Bon nombre d’investisseurs sont peu informés et sont très incertains de la rentabilité future des actions qu’ils détiennent. Ils ont tendance à se comporter comme un banc de poissons. Si un leader respecté — le poisson en chef — se dit optimiste, il peut se créer un mouvement de foule en faveur des actions et une ascension des cours qui se nourrira d’elle-même. C’est la bulle spéculative : les prix augmentent parce qu’on achète, et on achète parce que les prix augmentent. Puis soudainement, le mouvement s’inverse quand quelques analystes reconnus expriment leur inquiétude sur l’incohérence entre les prix des actions et les vraies perspectives de profits. La bulle éclate et les cours dégringolent. En Amérique du Nord, les krachs de 1929, 1987 et 2001-2002 ont marqué les esprits.

De trois, comme sources de prévision de croissance économique, les indices boursiers se trompent régulièrement. Le célèbre économiste américain Paul Samuelson disait à la blague : « Les indices de Wall Street ont prédit neuf des cinq dernières récessions ! » 

Voici un exemple révélateur : au cours des années 2011 à 2019, la variation du principal indice boursier américain, le Standard and Poor’s 500, a souvent mal prédit l’évolution du PIB des États-Unis réalisée d’un trimestre au suivant. Ainsi, quand l’indice prévoyait que le PIB augmenterait plus rapidement lors du trimestre à venir, il arrivait fréquemment qu’il augmente moins rapidement, voire qu’il diminue.

Cet exemple porte sur un court horizon, dans un seul pays et pour une brève période. Il peut paraître isolé. Mais il est en fait représentatif des résultats obtenus par la recherche contemporaine sur le lien entre l’évolution de la Bourse et celle de l’économie. La conclusion la plus sûre est que la relation statistique entre la croissance économique et la variation des indices boursiers manifeste une grande instabilité dans les pays du G7 depuis 60 ans.

Cela ne veut pas dire que l’information offerte par l’évolution des indices boursiers est inutile. À très long terme, la relation entre la croissance du PIB et celle des indices est tout de même positive. Mais à court et à moyen terme, l’économie peut évoluer plus ou moins rapidement que le prédit la Bourse, ou même aller dans la direction opposée. 

La Bourse, ce n’est vraiment pas l’économie.

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