Exportations aux États-Unis : la Chine recule… le Canada aussi

L’un des faits saillants de 2023 sur la planète économique, c’est que la Chine s’est fait ravir son titre de premier exportateur de biens vers les États-Unis. Le Mexique fournit désormais la plus grande part des marchandises, dans un étonnant retour des choses.

Les données du Bureau du recensement des États-Unis pour l’année 2023 montrent le croisement des courbes. Dès juillet, les biens du Mexique représentaient plus de 15 % des importations américaines, contre 14,6 % pour la Chine. Le Canada, au deuxième rang en 2022, a glissé en troisième place, sous les 13 %. 

Comment explique-t-on ce rebrassage ? Ce n’est pas à cause d’une hausse marquée des importations provenant du Mexique, dont la progression est constante, ni d’une baisse notable de celles du Canada, mais d’un recul spectaculaire de celles originaires de Chine.

Il faut d’abord revenir à l’administration Trump, qui a imposé des tarifs sur plusieurs importations de Chine. Des politiques protectionnistes maintenues sous l’administration Biden. Encore cet été, le président américain a signé des décrets pour interdire des investissements américains en Chine dans certains secteurs technologiques comme les semi-conducteurs.

Mais surtout, la pandémie a mis en lumière la vulnérabilité de la chaîne d’approvisionnement, dont les coûts ont par ailleurs explosé. Les difficultés à transporter des biens de l’Asie ont poussé les entreprises américaines à chercher des partenaires plus près géographiquement — et chez des alliés plutôt que des rivaux géopolitiques.

Ce phénomène de délocalisation dans un pays proche, qu’on appelle en anglais le nearshoring, est différent des délocalisations d’usines vers l’étranger qui ont marqué la mondialisation des années 1990. On assiste plutôt à une relocalisation des usines plus près des marchés où leur production est destinée.

Des puces d’ordinateurs aux vêtements, en passant par les téléphones, les entreprises occidentales délaissent en partie la Chine au profit de l’Europe et du Mexique. Celui-ci apparaît tout désigné, avec sa main-d’œuvre bon marché, en plus de profiter des avantages de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM).

Résultat : les parcs industriels mexicains situés à la frontière des États-Unis bouillonnent, avec un taux d’inoccupation d’à peine 2 %. Pour les neuf premiers mois de l’année, les investissements directs étrangers au Mexique ont atteint un record de 32,9 milliards de dollars, une hausse de 40 % par rapport à janvier.

Les chiffres n’incluent même pas la construction prochaine d’une méga-usine de cinq milliards par l’américaine Tesla à Monterrey, dans le nord-est du Mexique, pour compléter celle qu’elle possède en… Chine. L’arrivée du constructeur de voitures électriques entraînera celle d’une trentaine d’autres entreprises dans la région afin de fournir l’immense usine.

Pour le Mexique, c’est un peu un retour aux années 1990-2000 : après la signature de l’ALENA, les exportations vers les États-Unis avaient fortement augmenté. Mais à la faveur de l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001, qui lui a ouvert de gigantesques marchés, Pékin est ensuite devenu le fournisseur le plus avantageux, se hissant au sommet des importations américaines en 2008.

Avec les tensions entre Pékin et Washington, on peut être tenté de croire que le « made in Mexico » remplace le « made in China » dans une nouvelle version de la guerre froide. Sauf que, comme le rapportait le New York Times en février, de nombreuses entreprises chinoises s’installent elles aussi au Mexique pour profiter de la manne. Le fabricant de meubles Man Wah ou celui d’ordinateurs Lenovo bénéficient ainsi des avantages de l’ACEUM pour accéder au marché nord-américain, même si cette arrivée comporte son lot d’obstacles, notamment la nécessité de transférer des travailleurs.

Et pourtant, plusieurs analystes estiment que le Mexique ne tire pas pleinement profit de ces relocalisations. Les taux d’intérêt y sont plus du double des taux canadiens, ce qui freine les investissements des entreprises pour se moderniser, tandis que l’insécurité règne dans plusieurs zones du pays contrôlées par les cartels.

Le président du Mexique, Andrés Manuel López Obrador, reconnu pour sa méfiance envers les entreprises étrangères, est lui aussi montré du doigt. D’une part, il a aboli l’agence de promotion de l’investissement étranger. Et bien qu’il soit campé à gauche et prône un rôle accru de l’État dans l’économie, c’est aussi un partisan de l’industrie pétrolière. Or, les entreprises américaines cherchent des sources d’énergie vertes pour investir et profiter des abattements fiscaux du plan vert de Joe Biden.

Sauf qu’AMLO, comme on le surnomme, est dans la dernière année de son dernier mandat, et veut mettre son parti et sa dauphine, Claudia Sheinbaum, dans une position favorable pour les prochaines élections. Il n’a pas intérêt à multiplier les obstacles au développement économique.

Et le Canada dans tout ça ?

Certes, les exportations du Canada vers les États-Unis ont été malmenées pendant les années Trump avec l’imposition de tarifs sur l’acier et l’aluminium, mais en fait, elles poursuivent un déclin inexorable depuis les années 2000.

Il faut aussi rappeler que Trump visait davantage le Mexique que le Canada en forçant la renégociation de l’ALENA. L’effet de restructuration à l’intérieur de l’espace nord-américain a desservi le Canada.

« Le Mexique a développé une industrie de la sous-traitance, explique l’économiste Christian Deblock, professeur associé de sciences politiques à l’UQAM. Au Canada, on n’est pas là. Nos exportations restent concentrées sur les matières premières, un commerce particulièrement sensible aux fluctuations de prix. »

C’est toutefois ce qui permet au Canada de dégager des excédents commerciaux, rappelle-t-il. Mais notre économie est plus vulnérable. « Ces dernières années, nous avons retrouvé un bon rythme de croissance des exportations, mais le Mexique a développé sa productivité. »

Il rappelle aussi que le Mexique demeure un partenaire commercial négligeable malgré l’ACEUM : il représentait 3,8 % de nos importations et à peine 1,3 % de nos exportations en octobre.

En revanche, le Canada bénéficie un peu de la vague de relocalisations avec l’arrivée des Northvolt, Stellantis et Volkswagen, qui se rapprochent du marché nord-américain en s’installant au pays. Même si c’est à coups d’énormes subventions, et même si ces entreprises européennes profitent des modalités de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne (UE), en vigueur depuis six ans.

Verrons-nous se poursuivre la glissade du Canada comme partenaire économique des États-Unis et, par extension, du monde ? Christian Deblock pointe ce rapport de la banque Goldman Sachs, qui prédit que l’économie canadienne, actuellement au 8e rang mondial, tombera au 14e rang en 2050, et ne fera plus partie du top 15 en 2075. C’est l’Asie — notamment la Chine — qui occupera le sommet du classement. 

De fait, malgré la montée du Mexique comme exportateur vers nos voisins du Sud, la Chine ne cessera pas d’être un fournisseur important des États-Unis et du monde. Elle profite déjà d’un marché intérieur de 1,4 milliard de consommateurs. Et Pékin trouvera certainement des moyens de diversifier son offre… quitte à établir ses entreprises sur d’autres territoires que le sien.

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