Rétroviseur : le linge sale de l’industrie du vêtement

Chaque dimanche, le rédacteur en chef adjoint de L’actualité, Éric Grenier, vous invite à lire (ou à relire) dans son infolettre Rétroviseur un des reportages les plus marquants de la riche histoire du magazine. Vous pourrez ainsi replonger au cœur de certains enjeux du passé, avec le regard de maintenant.

Je dois le reconnaître d’emblée : je suis l’antithèse de mon collègue Jean-Philippe Cipriani en matière de vêtements. Comme vous le constaterez en lisant les premières lignes de son reportage mis en vedette dans le Rétroviseur de cette semaine, Jean-Philippe avoue un petit côté fashionista, ce qui en fait un être parfaitement normal, cela dit. Il aime le beau linge, à plus forte raison s’il est en solde ! Dans mon cas, je viens de jeter deux jeans rendus dans un état déplorable et que j’ai portés jusqu’à tout récemment, alors qu’ils avaient été acquis à l’époque où 80 % de la population québécoise était inscrite à Réseau Contact (réseau dont on a annoncé la fermeture cette semaine). Je ne suis pas cheap (comme le martèlerait si bien Rénald « Pinson » Paré, ai-je envie d’arguer, seulement un peu paresseux en matière de magasinage et surtout de dépenses.

Je devrai malgré tout profiter de l’approche des mégasoldes du pré-Vendredi fou d’avant les promotions des Fêtes afin de changer de jeans. Mais ça ne sera pas dans le même état d’esprit qu’avant d’avoir lu ce reportage publié en 2019.

En lisant, je n’ai pu m’empêcher d’y voir un lien direct entre notre appétit pour le bon chic, bon genre à bas prix et les grèves historiques qui ont cours ces jours-ci dans l’industrie du textile au Bangladesh. Scènes totalement inédites dans cette démocratie « autoritaire », des manifestations monstres de dizaines de milliers de travailleurs agitent Dacca, la capitale. L’Agence France-Presse (AFP) rapportait mercredi qu’une manifestante avait été tuée d’une balle à la tête par les forces de sécurité gouvernementales (une troisième mort depuis le début des troubles, il y a 10 jours). Les syndicats ouvriers exigent une hausse de 300 % du salaire minimum imposé à l’industrie, pour le porter à 23 000 takas (288 dollars canadiens) par mois. C’est considéré comme le seuil de bas revenu. Le gouvernement de la première ministre Sheikh Hasina, en poste depuis 2009, leur offre seulement 57 %, à 12 500 takas. « Je dirais aux ouvriers du textile qu’ils doivent travailler et faire avec cette augmentation de salaire, ils devraient continuer leur travail », les a-t-elle sommés mercredi. Les industriels, qui ont pour clients les grandes marques connues, poussent pour que l’État n’augmente le salaire minimum que de 25 %. 

La situation est d’autant plus tendue que des élections législatives sont prévues pour janvier. L’industrie textile représente 80 % des exportations du pays, plus de 10 % de son PIB, et fait travailler quatre millions de Bangladais. L’enjeu politique est donc de taille, surtout que 2023 marque les 10 ans de la tragédie du Rana Plaza, ce complexe industriel dont l’effondrement en 2013 avait entraîné la mort de 1 100 ouvriers. Mille cent vies de prises pour nous révéler les conditions déplorables dans lesquelles sont fabriqués les vêtements de nos griffes préférées à si bon prix.

Cette fast-fashion — ou mieux nommée par « prêt-à-jeter » — est aussi une catastrophe écologique. « Le vêtement est maintenant au deuxième rang des industries les plus polluantes sur la planète, après le pétrole. La production vestimentaire génère 1,2 milliard de tonnes de CO2 par année, autant que les transports aériens et maritimes combinés », nous apprend Jean-Philippe. Et « la presque totalité de l’industrie du prêt-à-porter a désormais épousé le modèle de la fast-fashion », ajoute-t-il.

Mais, en tant que consommateur, il y a moyen de faire changer les choses. À découvrir dans ce reportage de 2019 par Jean-Philippe Cipriani.

Bonne lecture !

Éric Grenier, rédacteur en chef adjoint

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