Devenir la Suède de l’Amérique du Nord

En matière d’annonces politiques, celle de l’usine de Northvolt, jeudi, est quelque chose comme un coup de circuit. Tous les poncifs de la transition verte comme occasion d’affaires, dont on nous vante les mérites depuis 20 ans, se matérialisent dans ce chantier.

Northvolt promet le plus grand projet industriel privé de l’histoire du Québec, un investissement de 7 milliards de dollars. L’usine de cellules de batterie aux ions de lithium — la dernière étape avant l’assemblage des batteries — doit fournir 3 000 emplois à terme. 

À pleine production, elle pourra équiper un million de véhicules électriques par année. L’entreprise suédoise, évaluée à quelque 12 milliards de dollars, compte déjà BMW, Volvo et Volkswagen parmi ses clients. Elle envisage une entrée en Bourse l’an prochain pour assurer son établissement sur le marché nord-américain.

Pas mal pour une jeune entreprise créée en 2015 par deux anciens de Tesla. En voyant tous les constructeurs promettre un virage vers l’électrique, le cofondateur Peter Carlsson a rapidement compris qu’il leur faudrait des batteries. Beaucoup de batteries. Et Northvolt a l’ambition de fabriquer les plus vertes au monde, avec une empreinte carbone de deux à trois fois inférieure à celle des batteries produites en Chine, qui accapare les deux tiers du marché. 

Voilà pour le côté vertueux. Mais fabriquer des cellules de batterie est une activité très gourmande en énergie. C’est là que l’hydroélectricité québécoise à bas prix entre en jeu. La crainte que le Québec ne devienne le « Dollarama de l’énergie », formulée par Sophie Brochu alors qu’elle était à la tête d’Hydro-Québec, ressortira inévitablement.

Sauf que pour le premier ministre François Legault, tout juste auréolé du titre de « héros » des changements climatiques par l’ancien vice-président américain Al Gore, c’est justement l’occasion inespérée de justifier la construction de nouveaux barrages.

Ce qui passera plus difficilement, c’est l’argent public investi. Québec déboursera 1,37 milliard dans l’usine, notamment en prêts pardonnables (pas nécessairement remboursables) si Northvolt respecte ses promesses. Ottawa ajoutera 1,34 milliard.

À 2,7 milliards de dollars au total, on parle d’environ 900 000 dollars d’argent public par emploi promis. Et c’est sans compter jusqu’à 4,6 milliards supplémentaires pour la production des batteries, une somme déboursée à un tiers et deux tiers respectivement par Québec et Ottawa.

On nous assure que l’investissement rapportera. Il suffit de consulter le rapport du directeur parlementaire du budget (DPB), à Ottawa, sur les subventions accordées aux usines de Stellantis et de Volkswagen, en Ontario, pour aiguiser son scepticisme. Pour que les 28 milliards de dollars injectés au cours des neuf prochaines années soient rentables, le DPB évalue qu’il faudra au moins 20 ans, plutôt que 5 comme le soutient Ottawa.

Et quand François Legault a annoncé l’usine de batteries de Ford à Bécancour en août, un projet de 1,2 milliard, il s’est fait rappeler que les 644 millions déboursés par Québec et Ottawa représentaient 1,8 million pour chacun des 345 emplois.

On peut aussi comprendre les craintes de citoyens de McMasterville et Saint-Basile-le-Grand, où les installations de Northvolt s’étendront sur les terrains de l’ancienne usine d’explosifs de la Canadian Industries Limited (CIL), à cheval sur les deux municipalités de la Rive-Sud. C’est l’équivalent de 75 terrains de soccer. Ils s’inquiètent du bruit, des odeurs et du va-et-vient des camions, surtout pendant la phase de construction. 

Sauf que l’endroit est idéalement situé près d’une ligne de haute tension et d’un chemin de fer. On préférera des batteries dans les convois plutôt que du pétrole. Ce que le ministre Fitzgibbon veut reproduire dans ces deux villes, c’est l’usine sœur de Northvolt, en Suède, qu’il a visitée il y a quelques semaines. 

Skellefteå, une commune de 74 000 habitants, avait vu sa population baisser et ses citoyens s’expatrier vers des villes plus dynamiques du sud du pays pendant 50 ans. Tout a changé avec l’arrivée de Northvolt. Même si à peine le tiers de l’usine est sorti de terre quatre ans après le début de la construction, elle produit déjà des batteries et emploie plus de 2 000 personnes. Là aussi, c’est l’électricité propre et abondante qui a attiré Northvolt ; la compagnie d’électricité appartient à la municipalité et garantissait un approvisionnement à faible coût.

Pour limiter l’empreinte carbone, Northvolt a convaincu ses sous-traitants de s’implanter à proximité. Par exemple, l’entreprise sud-coréenne Donjin, qui produit des semi-conducteurs, et le fabricant chinois d’enveloppes de batterie KDL ont ouvert des usines dans le même coin. Northvolt a aussi bâti une usine de recyclage de batteries attenante à ses installations. C’est une grappe industrielle, regroupement que le gouvernement québécois valorisait dès les années 1990, notamment dans l’aéronautique. L’arrivée de Northvolt au Québec risque d’alimenter d’autres secteurs, comme les mines de graphite, qui entre dans la composition des batteries.

La réindustrialisation verte a permis à Skellefteå de mettre fin à son déclin démographique, de stimuler sa croissance et de rapatrier des cerveaux. L’aéroport, autrefois déserté, a inauguré de nombreuses liaisons. Et la commune a gagné une réputation de pilier de la transition écologique.

En Suède, ça dépasse le simple cas de Northvolt : le pays prévoit plus de 100 milliards de dollars d’investissements dans l’acier vert, les chemins de fer, les ports et les énergies renouvelables. Des régions autrefois désertées sont en train de renaître. Une vision pas mal plus avisée qu’un Plan Nord s’appuyant exclusivement sur l’extraction minière.

Depuis le temps qu’on cite en exemple les pays scandinaves, on comprend François Legault d’espérer que le Québec devienne la Suède de l’Amérique du Nord en matière d’énergie verte. En comptant Northvolt, son gouvernement a déjà engagé près de 4,2 milliards dans la filière batterie. Le ministre Pierre Fitzgibbon a tracé la limite à 5 milliards.

Un obstacle majeur se dresse toutefois devant le gouvernement : le manque de main-d’œuvre. C’était aussi le cas à Skellefteå. Là-bas, Northvolt recrute toujours plus d’une centaine de personnes chaque mois, beaucoup à l’étranger. À peine la moitié des salariés sont suédois.

François Legault devra assouplir sa position sur l’immigration s’il veut que la filière batterie soit une réussite. Il devra aussi trouver rapidement des solutions au manque de logements, déjà criant pour les travailleurs. À Skellefteå, la commune avait les pleins pouvoirs pour développer son territoire.

Ici, on a tendance à compter sur les municipalités sans leur donner les moyens nécessaires. McMasterville et Saint-Basile-le-Grand n’ont pas à faire les frais des ambitions de Québec.

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