Vous avez déjà entendu parler des entreprises zombies ? Ce sont des sociétés bien établies, mais dont les résultats financiers sont médiocres, au point d’en faire des candidates idéales à la fermeture ou à la faillite.
De fait, pour prendre la définition exacte de l’OCDE, ce sont des entreprises qui ont au moins 10 ans, et dont les revenus sont inférieurs à leurs paiements d’intérêts pendant trois années consécutives. En gros, leurs profits sont insuffisants pour couvrir les intérêts sur leurs dettes.
Pourtant, même moins productives, endettées et peu capables d’investir, elles refusent obstinément de quitter le marché. Comme le champignon de la série The Last of Us, elles peuvent même le contaminer.
Comment ? D’abord, en accaparant une main-d’œuvre et des capitaux (du crédit) qui pourraient servir à des entreprises en bonne santé financière. En contexte de pénurie de main-d’œuvre, c’est non négligeable. Ensuite, en ralentissant la productivité d’un secteur de l’économie, ce qui nuit aux entreprises saines.
On les appelle zombies, mais ce ne sont pas exactement les morts-vivants de Walking Dead, notamment parce qu’elles peuvent guérir de leur mal. Pensez aux compagnies aériennes, dont bon nombre entrent dans la catégorie zombies depuis la pandémie — et même avant pour certaines.
Officiellement, le Canada comptait alors une proportion monstre d’entreprises zombies, soit entre le quart et le tiers des sociétés, un des taux les plus élevés au monde. Mais les données étaient incomplètes ; elles concernaient uniquement les entreprises cotées en Bourse, soit 1 % des entreprises au pays.
La réalité est plus nuancée. Une étude de Statistique Canada publiée le mois dernier vient jeter un éclairage fort intéressant sur le phénomène. La bonne nouvelle, c’est qu’une fois toutes les entreprises prises en compte, la part des zombies est considérablement plus faible que ce qu’on redoutait, se situant entre 5 % et 7 %.
« C’est un terme marketing très populaire, mais il ne faut pas s’alarmer », estime Sophie Osotimehin, professeure au Département des sciences économiques de l’UQAM. « Des entreprises qui investissent en recherche et développement font passer ces dépenses comme des coûts, ce qui fait baisser leurs profits de façon artificielle. Ça peut biaiser l’analyse, alors qu’elles sont en fait en train d’investir. »
N’empêche, celles qui guérissent sont minoritaires. La probabilité qu’une entreprise zombie revienne au statut d’entreprise saine est de 30,9 %, selon les données de Statistique Canada. Après 10 années au statut de zombie, c’est à peine 13,7 %.
Pourquoi y a-t-il autant d’entreprises en difficulté ? L’étude mentionne cinq raisons principales :
- Afin de protéger leur bilan, les banques octroient des délais de grâce excessifs pour le remboursement des dettes ;
- Les lois sur les arrangements avec les créanciers sont mal conçues, ce qui empêche les entreprises de quitter le marché ou de se restructurer ;
- Les programmes d’aide gouvernementaux permettent aux entreprises de rester sur le marché ;
- Les taux d’intérêt bas ont contribué à la prise de risque chez les créanciers ;
- La volatilité du prix de certaines matières premières a provoqué une fluctuation des profits.
De plus, et c’est là où ça devient préoccupant, elles apparaissent en nombre croissant au Canada dans les secteurs des ressources naturelles, comme l’extraction minière, de pétrole et de gaz. Chez les entreprises cotées en Bourse, la proportion atteint jusqu’à 50 % des sociétés.
Ça s’explique, parce que les prix ont beaucoup fluctué au cours de la dernière décennie. Ce sont aussi des secteurs qui reçoivent énormément de subventions — directement ou indirectement — depuis longtemps, sans compter les aides ponctuelles durant la pandémie.
Mais surtout, plusieurs de ces entreprises zombies semblent être la conséquence directe des taux d’intérêt historiquement bas des dernières années, qui leur ont permis d’accumuler de fortes dettes sans risquer la faillite.
Cependant, avec la hausse marquée des taux depuis un an, juxtaposée au ralentissement économique qui se profile, les conditions sont réunies pour des faillites ou des rachats. Si les profits étaient insuffisants pour couvrir les intérêts sur les dettes à des taux presque nuls, imaginez combien de ces entreprises pourront survivre aux taux actuels.
« On a un taux de destruction d’entreprises habituel de 10 % à 11 % par année au Canada, tempère Sophie Osotimehin. C’est le fonctionnement normal des marchés. Or, plusieurs s’attendaient à une explosion des faillites après le retrait des mesures d’aide pandémiques. Mais au contraire, elles n’ont pas encore atteint leur niveau prépandémique. Il y a un rattrapage qui n’a pas été fait. »
Sauf que, pour une économie aussi axée sur les matières premières que celle du Canada, l’effet risque d’être brutal. Les prochaines années s’annoncent difficiles.