Vous vous souvenez de la grande séduction pour attirer le second siège social d’Amazon dans la métropole en 2017 ? Montréal International avait monopolisé une dizaine d’employés pendant six semaines pour bâtir un épais dossier de candidature.
Au total, 238 villes avaient présenté leur candidature, proposant des milliards de dollars en mesures incitatives, comme des congés fiscaux, pour accueillir le géant du commerce électronique. Amazon avait finalement jeté son dévolu sur New York et sur Arlington, en Virginie, en banlieue de la capitale américaine, Washington.
Quelques mois plus tard, devant le tollé, Amazon abandonnait le projet à New York. Et au début du mois, la construction du deuxième siège social à Arlington a été mise sur pause à son tour. En ces temps de restrictions budgétaires, à l’instar des autres géants technos, Amazon a moins d’intérêt pour les pieds carrés.
C’est le symptôme des bouleversements qui touchent les technos, certes. Mais pour les gouvernements qui se battent pour accueillir les entreprises — n’en déplaise au ministre Pierre Fitzgibbon —, la dynamique change de façon beaucoup plus profonde.
Première raison : la hausse des taux d’intérêt. Comme je l’expliquais, le capital de risque n’est plus aussi généreux, ce qui ramène les géants technos à des pratiques économiques beaucoup plus modérées.
Dans des domaines où le télétravail est possible, c’est peut-être le début de la fin des quartiers occupés par un secteur de l’économie, comme la Cité du multimédia, ou des fameuses grappes industrielles, où plusieurs entreprises liées à une industrie se regroupent dans une zone géographique plus large.
Une Silicon Valley aurait-elle émergé si le télétravail avait été la norme ? La question mérite réflexion.
Deuxième raison — et elle est fondamentale : l’augmentation du télétravail (merci la pandémie !). De plus en plus de gens peuvent choisir d’où ils veulent travailler. Une bonne part préférera le calme des petites villes au bruit de la métropole.
Tenez, j’ai même un ami qui travaille désormais quatre mois par année pour un bureau montréalais à partir de sa maison de campagne en… Espagne. Pourquoi une entreprise investirait-elle autant pour des locaux qui ne seront occupés qu’à temps partiel ?
Dorénavant, les grandes villes ne se battront plus pour attirer des Amazon, mais devront faire concurrence aux plus petites villes pour attirer les… résidants, qui peuvent choisir de travailler d’où ils veulent.
Et ça se vérifie : des études aux États-Unis comme en Europe démontrent l’explosion de la demande (et des prix) pour des maisons dans des villes de taille moyenne, à proximité de la nature.
Oui, mais Montréal a tant à offrir, non ? Les festivals, la culture, le nightlife. Ce n’est plus aussi vrai. Et pour des exilés en périphérie, louer un des nombreux logements proposés sur Airbnb permet une virée en ville au besoin, d’autant plus que les économies générées par une vie loin du centre rendent ce luxe possible.
Dans les faits, le solde migratoire de la ville de Montréal n’a cessé de se creuser au fil des années, atteignant un record de 46 717 habitants de moins du 1er juillet 2020 au 1er juillet 2021, au profit des banlieues de plus en plus lointaines et du reste du Québec. À l’image de François Legault qui plaide pour des emplois payants, les villes devront désormais rivaliser afin d’attirer les « résidants payants », qui dépensent et font rouler l’économie de la cité.
Et cette concurrence ne fait que commencer. On l’a vu, l’équipe de Valérie Plante travaille même à la transformation de bureaux en logements pour redynamiser le centre-ville de la métropole, délaissé par les travailleurs. Le taux d’inoccupation des bureaux était aux alentours de 17 % à la fin de 2022. Une solution qui reste marginale, parce que les immeubles de bureaux sont peu adaptés pour accueillir des logements.
La véritable clé, elle est liée aux coûts et à la qualité de vie. Bien sûr, on parle des incitations fiscales, mais il y a plus encore. Comme je l’ai déjà écrit, un réseau de transport collectif efficace est incontournable pour la productivité et la vitalité d’une ville.
Des espaces d’habitation agréables aussi. Comment peut-on encore tolérer que des logements neufs aient la taille d’une boîte de sardines, et qu’il n’y ait pas un minimum décent de chambres et de pieds carrés habitables pour chaque logement des nouvelles constructions ?
Et finalement, le milieu de vie. Des services, des écoles, des parcs, ainsi que de la mobilité (oui, ça inclut les voitures) pour rendre la ville aussi attrayante que la périphérie.
J’oublie certainement plusieurs aspects. Mais une chose est sûre, c’est une véritable course qui s’amorce pour séduire les résidants. Et les grandes villes, en ce moment, n’ont pas le gros bout du bâton.